Don't fear the dream

Jordan s'était réveillée, un rayon du soleil caressant sa peau, la réchauffant de ses couleurs orangés. Repoussant une mèche de cheveux, elle fut loin de s'émouvoir de cette scène et préféra pour une fois rester allonger dans ses draps blancs à savourer un silence qu'elle croyait salvateur. Les autres l'emmerdaient et elle ne pouvait avoir confiance en personne. S'étirant comme un félin, elle se redressa finalement et quitta son lit. Elle enfila un débardeur et un pantalon cargo. Attrapant ses clés et ses lunettes de soleil d'une main et le mp3 laissé sur le buffet de l'autre, elle quitta son appartement et alla courir un peu dans les rues. Lunettes noirs sur les yeux, écouteurs aux oreilles, allure assurée et mine fermée : Jordan était hermétique au monde qui l'entourait. Personne n'osait la déranger, et ils n'avaient pas intérêt ; la jeune femme n'avait aucune envie de sympathiser avec les menteurs qui faisaient leur monde. Elle croyait se sentir bien mieux toute seule. Après avoir couru sur quelques kilomètres, elle retourna à son appartement et enchaîna une série abdominos et quelques pompes. Alors elle fila sous la douche.

Encore drapée de son peignoir rouge fuchsia, elle prenait un café noir à la fraîcheur de son balcon tout en lisant un journal. Elle alla alors s'habiller. Elle s'ennuyait ferme : c'était son jour de repos et Jordan les détestait. Elle ne se sentait à l'aise qu'en temps de traque, de chasse, de poursuite. L'inactivité, très peu pour elle. Lorsqu'elle jouait les infiltrées, elle utilisait toujours le même mode opératoire : trahir plutôt que d'être trahit. Dernièrement, sa prochaine proie s'appelait Kayoko Kotohiki, une japonaise arrivée à New York avec son amie. Les Fal'Cie, qui graissait la pâte de quelques douaniers afin d'avoir la main mise sur les frontières et ainsi contrôler les entrées suspectes, avaient rapidement suivit de près les deux japonais, parmi tant d'autres. Portant de grands soupçons sur ces deux là, Jordan avait été envoyée auprès dire. Faut dire que dans les dossiers, Kayoko était reconnue pour avoir une bonne connaissance des choses qui l'entourent, quelque soit le domaine. Super intelligence ? Apprentissage surhumain ? Médium ? Ou quel autre pouvoir encore ? C'était tant de possibilité. Pour lui, il apparaissait sur plusieurs vidéos de sécurité avec des tatouages différents en différents endroits, sans que l'on sache pour autant pourquoi. Jordan devait se renseigner sur la nature de leurs pouvoirs à tout deux. Elle s'était rapidement rapprochée de Kayoko, jeune femme visiblement fragile. Jordan en avait presque de la compassion pour elle. Etait elle prise à son propre jeu ? Impossible, Jordan S. Fox est un agent infaillible qui ne souffre pas de l'apitoiement et d'un grand coeur trompeur.

Mais pour l'heure elle était coincée par son foutu jour de repos ! Elle était depuis longtemps partie s'habiller. Qu'allait elle faire ? Se donner elle même du travail : elle souhaitait donc partir déambuler dans les rues et dès lors elle ne ferait qu'observer de son oeil de renard, prête à toute tromperie pour se rapprocher de quelqu'un qu'elle surprendrait en pleine activité paranormale. Son sens de l'observation profondément aiguisé serait sa meilleure et plus redoutable arme. Elle n'avait besoin de rien d'autre. Enfilant une petite robe bleu roi, couvrant ses épaules de son long parka noir, elle fila donc dans les rues, affichant le masque qu'elle portait le plus souvent : la voisine agréable qui saluait les voisins dans l'escalier, la jeune femme un peu réservée, par fausse pudeur, mais toujours douce et chaleureuse, à l'écoute de tous et attentionnée. Une femme en somme discrète, mais assez douce et rayonnante pour qu'on lui offre le bon dieu sans confessions. Jordan aurait pu être cette femme là, mais la trahison vous ouvre cruellement les yeux, comme elle avait cruellement ouvert les siens.

Alors qu'elle marchait depuis déjà presque une demi-heure, n'ayant quasiment rien repéré de douteux, n'ayant noté que quelques noms et adresses dans son petit carnet, elle entra en collision avec quelqu'un en tournant au coin de la rue. Jurant à l'intérieur, elle afficha pourtant un sourire aimable et désolée et se confondit en excuse avant de reconnaître Kayoko. Elle se surprit à s'adoucir et chassa cette chaude et douce sensation pour se dire que la japonaise tombait à pic dans son ennui.

« Hey Kayoko, ma belle. Désolée de t'avoir bousculée ! Tu vas bien ? »

Une main sur son épaule, elle l'aidait à se redresser et, affectueusement, elle passa une main sur sa joue. Elle lui sourit amicalement, comme si elle n'avait plus chère amie au monde et comme si en échange, Kayoko pouvait tout lui dire, sans avoir peur d'un jour être trahit.

Jordan & Kayoko

Tu cours à toute vitesse dans les rues de New York, mue par une terreur indicible, comme si tu avais le diable à tes trousses. Sais-tu au moins pourquoi tu cours si vite alors qu’il semblerait que tout aille bien ? Les gens que tu bouscules te dévisagent avec de grands yeux ahuris. Où va cette fille ? Il ne se passe rien alors pourquoi court-elle, cette idiote ? Mais toi, tu cours encore plus vite. Les cheveux te fouettent le visage, tu tiens ton sac du bout des doigts et tu te dis que jamais plus tu ne tenteras de courir avec des escarpins de putasse de trente-six centimètres de haut. Tes chevilles émettent des craquements sinistres à chaque pas que tu fais. Enfin, tu arrives dans une petite ruelle et t’arrêtes. A bout de force, tu tombes à genoux. Ta respiration haletante te fait penser à d’autres moments plus intimes, plus chaleureux. Etrange de penser à ceci dans un moment pareil. Ses mains tremblent sur tes cuisses. La nuit est tombée depuis longtemps. La rue est noire, mais pas de monde, d’absence. Quand ta respiration se calme, tu refermes la bouche et soupire. Silence. A nouveau, une respiration essoufflée retentit. Derrière toi. Pas de bruits de pas. Un souffle te caresse la nuque. Tu frissonnes. Tu ne te retournes pas, pas tout de suite. Finalement, cédant à la tentation, tu te retournes et te retrouves face à Jordan, un sourire étrange sur ses lèvres. Elle te caresse la joue. Tu voudrais te relever et fuir. Pas besoin, tu sais déjà que tu es perdue.

Kayoko ouvre les yeux. Tout ce qu’elle voit, ce sont les fissures du plafond d’un blanc immaculé. Elle est en nage dans son semblant de pyjama. Un t-shirt gris à l’effigie de Kurt Cobain et un pantalon de jogging neuf mais dix fois trop large pour elle. Ses couvertures gisent lamentablement par terre. Jusqu’à il y a quelques secondes, elle avait terriblement chaud et tout d’un coup, elle se met à frissonner sans pouvoir s’arrêter. Vite, vite, elle récupère les couvertures et s’ensevelit dessous, comme une enfant qui aurait peur du monstre sous le lit. Et elle y reste jusqu’à s’être réchauffée. Puis elle se lève. Il est bientôt onze heures. Elle a rendez-vous à midi pour un déjeuner dans un restaurant plutôt chic de la capitale. Il est donc plus que temps de se préparer. Pas encore totalement remise de son cauchemar, Kay’ se lève. Le problème, elle le sait, c’est que demain, ou dans une semaine, elle se souviendra encore parfaitement de ce rêve. Massant ses tempes douloureuses, elle file dans la salle de bain. Après une courte douche pendant laquelle elle a le temps de se détendre un peu, elle ressort et c’est vêtue d’une simple culotte qu’elle s’aventure dans sa chambre pour choisir une robe. Sans aucun tabou. Ses longs cheveux dégoulinent sur la moquette. Elle s’en fout. Elle se fout aussi qu’on la surprenne à moitié nue.

Impossible. Kei est déjà parti. Si ce n’était pas le cas, si c’était son jour de congé, il serait venu la réveiller, comme il le fait d’habitude. Son armoire à elle est remplie de vêtements. Sachant que c’est un grand restaurant, elle préfère arriver bien habillée. C’est pourquoi elle choisit une robe noire arrivant à mi-cuisse. Col échancré avec une large bordure dorée. Les bretelles sont assez larges. Une ceinture de la même matière que le col avec des ronds dorés. Le bas de la robe est légèrement plissé avec un liserai blanc et le bord doré. Plus un collant, une veste en cuir parsemée de bouton dorés et des escarpins à plateformes noirs. Elle s’habille soigneusement, prenant bien soin à ce que tout soit bien à sa place. Puis, montée sur ses talons, elle attrape son sac dans lequel gît tout son bordel - consistant en un Blackberry, un porte-monnaie, une carte d’identité et plusieurs autres petits gadgets - et sort. En passant dans le salon, elle remarque un bol de céréales sans lait posé sur la table. Une cuillère à soupe à côté et un petit post-it en forme de fleur devant. Elle se souvient parfaitement les avoir achetés elle-même, ceux-là. « Mange » est écrit dessus. Elle sourit vaguement, reconnaissant l’écriture de Kei. Il sait pourtant qu’elle ne mange pas le matin. Levant les yeux au ciel, elle quitte l’appartement.

Vient l’épreuve de la descente de marches car l’ascenseur est en réparation. Habituée à marcher sur des talons, elle ne titube même pas et arrive au rez-de-chaussée en un seul morceau. A peine est-elle sortie de l’immeuble qu’on la bouscule violemment. La personne est plus grande qu’elle. Elle fait quelques pas en arrière avant de se stabiliser et lever les yeux vers le passant. Jordan. Elle se fige, les yeux écarquillés. Elle est la même que dans son rêve. Le même sourire doux, presque amical. Et elle passe une main sur sa joue. Kay’, déjà sur les nerfs, tique nerveusement. Sans vraiment le vouloir, elle dégage sa main d’un geste sec.

jordan Hey Kayoko, ma belle. Désolée de t'avoir bousculée ! Tu vas bien ?

Crispée, Kay’ hoche vivement la tête et fait trois pas en arrière jusqu’à ce que son dos heurte le mur. Elle ne bouge plus, serrant son sac contre elle, comme s’il faisait une protection suffisante.